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T’es pas une lâche, tu dormiras dans la tombe

Je me sens affreusement coupable d’être étendue sur mon divan parce qu’on est mercredi et qu’il est 15h21 et que je devrais être en train de produire.

C’est ce que j’ai appris à faire : produire. Pour être un humain de valeur, il faut faire, créer, concevoir et livrer, plus vite, vite, plus vite que le voisin, allez grouille, enweye, t’es capable, t’es pas une lâche, tu dormiras dans la tombe, go, go, go, tu peux en prendre pendant que t’es jeune, y’a pas de temps à perdre, si t’es pas fichue de livrer y’en a huit-douze derrière qui attendent rien que ça de prendre ta place.

Je commence tout juste à remettre en question cette façon de voir la vie. J’avais tendance à mépriser un brin les paresseux. Ceux qui se contentent. D’une jobine, d’un DEC, d’un salaire moyen, d’un rythme de travail plus lent. Mais aujourd’hui je me dis qu’ils ont peut-être tout compris. Je me souviens d’avoir froncé les sourcils il y a quelque temps quand un ami m’a lancé qu’il se voyait comme un « underachiever ». Je devine maintenant ce qu’il a voulu dire.

Ma génération est de plus en plus malade de stress. Quand c’est le corps qui se cambre comme une mule et qui refuse de continuer, on fait face à un choix : lâcher prise, ou se battre.

Mais comme on n’est pas des lâches et qu’on ne veut surtout pas mettre à la poubelle des années d’efforts acharnés, on résiste. On n’écoute pas les signaux. On fait tout pour rester compétitifs. Et ça passe par toutes sortes de stratégies malsaines.

Take your pills. Pour moi, ça s’appelle Pro-Zopiclone. Pour des tas d’autres, c’est Adderall, Citalopram, Oxycontin ou Rivotril. Quel que soit le problème, il y a la solution facile à la pharmacie du coin – ou chez le dealer du coin, faute de prescription.

Le stress de performance est vécu de plus en plus jeune. On barouette les flos de l’école au cours de soccer au cours de japonais au cours de ski. J’ai eu la chance d’être une enfant-aux-mille-cours-parascolaires et j’en suis reconnaissante, vraiment, mais n’y a-t-il pas une limite? Un enfant qui ne réussit pas à produire des A+ dans son cours de math alors qu’il maîtrise la base des kanjis en plus de posséder une technique de slalom impeccable mérite-t-il réellement d’être gavé de Ritalin?

Je n’ai pas la solution (quoique certains semblent avoir une bonne idée de ce qui cloche). Mais en y pensant bien, je nous trouve cinglés. Ce besoin de performer à tout prix est un aveuglement. Après nos cinquante heures de travail, on rentre à la maison et on n’a plus de forces pour l’essentiel. Pour les amis. Pour l’amour. Tout ce stress pour finalement n’en rien retirer et devenir un paquet de nerfs qui n’aspire qu’à s’effondrer devant un autre écran. De la boîte courriel à la fine sélection de divertissements offerte par Netflix.

Je ne veux pas ça.
Je veux vivre pour moi,
Vivre pour toi.
Me vautrer dans les draps,
Rire, fou-rire,
Délire,
Je veux lire et écrire,
Beaucoup dormir,
À la corbeille
Mettre le réveil,
Organiser de grands banquets
Avec tous les amis, à nos frais,
Je veux aimer notre cocon,
Créer loin de l’oppression,
Boire des cafés au soleil,
Pas pour la caféine juste pour le goût.

Même en écrivant ces mots, je ne me crois pas parfaitement. La preuve, c’est que je jette des coups d’œil nerveux à ma boîte courriel que j’ai volontairement fermée pour l’après-midi.

Peut-être que je pourrais travailler juste une petite heure de plus et que je m’en sentirais mieux. Ou pas… ou pas.