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Quand j’haïssais l’UQÀM

Septembre 2008

À 19 ans, je suis en beau sacrament contre l’UQAM. Comme tous les gens normaux, qui eux vont au HEC, je rêve d’être en bikini aux îles de Boucherville et de me faire maudire de la moutarde et du ketchup dans les cheveux en même temps qu’on me force à caler de la Budweiser chaude. À la place, on me mandate de confectionner soigneusement un costume de dinosaure très complexe pour faire gagner des points à mon équipe d’initiation. Je suis ben turned off.

Il faut croire qu’à 19 ans, ce qui m’intéresse surtout des études universitaires, c’est qu’elles soient exactement à l’image de ce qu’on en dépeint dans plusieurs œuvres qui ont forgé mon imaginaire à cet effet (notamment : American Pie et Road Trip).

Mais l’UQAM n’a absolument rien en commun avec ces fantasmes mal assumés de frat boys et de beuveries dégradantes. Le brun et l’orange brûlé des stations de métro qui défilent devant mes yeux sur mon trajet quotidien se prolongent jusque dans les couloirs de l’université, comme un seul et même tableau, une tapisserie des années 60. Personne d’habillé swell, surtout des hippies (à profusion en fait) et une odeur de fond de café vanille française calciné qui émane en permanence du Salon G. Les seuls cours qui exigent que l’on sorte vraiment du métro sont ceux qui se donnent au chic pavillon V, qui se situe sur Ste-Catherine vers l’Ouest. La porte à côté du X-Tasy, directement en face du Pussylluminati.

Et puis il y a la menace d’une grève, une menace qui plane continuellement. En 2008, j’ai l’impression qu’elle m’empêchera carrément de compléter mon bac. Plutôt que de m’instruire, je passerai trois ans à me rendre à des assemblées interminables dans des salles oranges ou brunes pour défendre le droit des chargés de cours de faire du télétravail chaque premier vendredi de mars.

En classe, les hippies parlent fort et même si je fais mine de les snober, ils m’intimident.

Je n’ai pas d’amis (sauf trois).

Avril 2018

À 29 ans, alors que je déambule joyeusement du pavillon de design à celui d’éducation par les voies souterraines, l’odeur de café vanille cramée me ramène brusquement en arrière. D’une seule inhalation, l’évolution de mes sentiments face à l’UQAM m’apparaît dans toute son ampleur.

C’est ma deuxième session à temps plein en études littéraires, et j’adore mon université.

Quand j’y pense, c’est très étrange. Que s’est-il passé? Quelle est la raison de cet amour flambant neuf? L’école, elle, n’a pourtant pas changé. Mais peut-être que moi, j’ai changé. Et qu’au-delà des études, je suis tombée un peu en amour avec une poignée de profs et une flopée d’étudiants aussi. Ça m’aura pris près d’une décennie pour mettre de côté mon American Dream universitaire et découvrir qu’il y avait entre ces murs des humains remarquables, qui prodiguent un enseignement remarquable. Je le jure, les cours sont intéressants et même, rebondissants. Les étudiants rebondissent inlassablement les uns sur les autres, font d’un cours magistral une discussion enlevante. Je les trouve géniaux et je me fiche bien qu’ils portent des pantalons en toile surdimensionnés à motifs vaguement africains. Entre les cours, nous allons siffler des pintes à 4 $ à L’Escalier et je me dis que j’ai beaucoup d’amis (au moins quatre).

J’aime mon école, je suis fière d’être un petit morceau d’elle. Plantée dignement entre tous ces sex shops, elle porte très bien son emblématique paire de couilles. C’est la plus déniaisée des universités montréalaises, mais malgré tout, elle reste sans prétention. Peut-être avais-je confondu médiocrité et humilité dans mon ignorante jeunesse.

Ces temps sont bien loin derrière, que je me dis. En septembre 2018, pile dix ans après mes débuts désabusés en son sein, je commencerai à l’UQAM ma maîtrise en création littéraire. J’ai déjà acheté ma petite robe brune pour la rentrée.